Produits phytosanitaires
Écophyto, c’est aussi apprendre à mieux traiter

La pulvérisation représente un thème qui devrait faire partie des leviers pour réduire les IFT, et qui pourrait intéresser un public d’agriculteurs différent de celui du réseau Dephy. (©Adobe Stock/Olivier Tuffé)

En décembre 2023 était rendu public le rapport de la Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires. Depuis le premier plan Écophyto, lancé en 2008 dans la dynamique du Grenelle de l’environnement, « les données globales d’évolution de la QSA [quantité de substance active] et du Nodu [nombre de doses unités] ne permettent pas de conclure à une évolution importante des usages ; les seules avancées sont liées au retrait des molécules les plus dangereuses (CMR) dues à l’évolution du cadre réglementaire des autorisations de mises sur le marché ».

Le rapport souligne toutefois que « le réseau des fermes Dephy démontre qu’il est techniquement et économiquement possible de produire en s’affranchissant de la dépendance aux produits phytosanitaires ». Il recommande entre autres de consolider ce réseau, et de former et recruter massivement des agronomes dans l’objectif de massifier les changements de pratiques.

En 2024, la région Pays de la Loire compte 17 groupes Dephy et 41 groupes 30 000 actifs, ainsi que 23 GIEE (groupements d’intérêt économique et environnemental), dont certains travaillent sur la réduction des produits phytosanitaires. « Pour donner suite à la commission d’enquête, nous avons fait un bilan et calculé que plus de 10 % des exploitations de la région ont été touchées par ces actions de sensibilisation », indique Paul Gatineau, animateur Écophyto à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

« La pulvérisation agricole, c’est un cumul d’imperfections » -  Loïc Deveyer, conseiller en cultures pour la chambre d’agriculture dans le sud de la Vendée

« La dynamique se maintient, car les groupes continuent à se renouveler. Il s’agit d’agriculteurs volontaires, motivés, obtenant de bons résultats. » Pour tenter d’embarquer davantage d’exploitations, une journée technique était organisée en novembre dernier à l’AgroCampus de Rouillon, dans la Sarthe, sur le thème "Mieux pulvériser, moins traiter".

« Nous pensons que le thème de la pulvérisation fait partie des leviers pour réduire les IFT, et aussi pour intéresser un public d’agriculteurs différent de celui du réseau Dephy, qui recrute plus difficilement dans ce département, estime Paul Gatineau. Les systèmes en agriculture de conservation, par exemple, sont intéressants mais utilisent en général des produits phytosanitaires. Il est utile que les applications soient bien faites. »

Sur-qualité en fourrière

Conseiller en cultures pour la chambre d’agriculture dans le sud de la Vendée, Loïc Deveyer anime des formations sur la pulvérisation depuis vingt ans. « La pulvérisation agricole, c’est un cumul d’imperfections, reconnaît-il. Mais il est possible d’en améliorer la qualité et donc l’efficacité pour espérer, peut-être, réduire le nombre de traitements nécessaires. » Selon lui, le levier numéro un est le choix des buses ; le volume de bouillie n’étant qu’une conséquence de ce choix.

« Une pulvérisation abondante, couvrante, repose sur un nombre élevé de gouttelettes, explique-t-il. En divisant par deux le diamètre d’une gouttelette, de 300 à 150 microns, on multiplie par huit le nombre d’impacts et par deux la surface de contact, avec le même volume de bouillie. » Le levier numéro deux est la qualité du « rideau de pulvérisation » en lien avec les conditions d’application. Le vent dégrade la qualité de ce rideau, de même que la vitesse d’application « qui crée son propre vent ».

Il faut aussi veiller à atteindre au moins 60 à 70 % d’hygrométrie pour limiter les pertes par volatilisation. Enfin, Loïc Deveyer place en troisième levier prioritaire la gestion des fourrières dans le cas du désherbage. « Il faut une sur-qualité de pulvérisation en fourrière ! insiste-t-il. Sur cette zone, on roule à vitesse minimale et la pression de pulvérisation baisse. C’est là que naissent les problèmes. »

« S’il y a infestation dans les fourrières, on risque de contaminer la parcelle à la récolte, à moins de finir par les fourrières pour cette opération, ce qui est parfois conseillé. Il faut donc augmenter la pression autant que possible pour faire de la fine gouttelette en fourrière ; et limiter le différentiel de vitesse entre la fourrière et le reste de la parcelle. Il existe aussi des pulvérisateurs bloquant la régulation de pression en dessous d’une certaine vitesse. »

Désherbage localisé sur le rang de maïs

Outre la bonne utilisation du matériel actuellement disponible dans les fermes, les perspectives de réduction des impacts, et a fortiori de diminution des volumes de produits phytosanitaires employés, reposent sur de nouveaux outils de pulvérisation de précision très prometteurs. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire travaille avec la FRCuma Ouest et la coopérative Terrena pour tester ces technologies sur le terrain, dans le cadre du projet Azimut.

« Avec le développement du guidage centimétrique RTK, semer le maïs puis faire un désherbage localisé sur le rang et biner en interrangs devient possible, déclare Gérard Besnier, chargé de mission agriculture de précision à la chambre d’agriculture. Nous sommes ainsi descendus à un IFT désherbage de 0,1 en maïs. La problématique, c’est l’écartement des buses du pulvérisateur à 50 cm pour un écartement de semis du maïs à 75 cm. »

Caméras Carbon Bee
Les caméras Carbon Bee installées sur les rampesde pulvérisateur détectent et identifient les adventices surle champ pour déclencher les traitements buse par buse. (© Nathalie Tiers)

Mais des constructeurs comme Amazone ou Horsch proposent aujourd’hui des écartements de buses à 25 cm permettant de lever ce frein. Les partenaires d’Azimut ont par ailleurs testé en 2023, sur la ferme expérimentale de Derval, en Loire-Atlantique, le pulvérisateur Ara d’Écorobotix sur maïs. Conçu initialement pour désherber les cultures en ligne (betterave, maïs, colza, soja) et les légumes de plein champ (haricots, oignons, salades, épinards), il est également capable de repérer et détruire les chardons et rumex dans les prairies.

Des Cuma de Mayenne et de Normandie sont d’ailleurs en train de s’en équiper pour ce dernier usage. À l’aide de caméras, l’outil capture des images de la culture en haute résolution, leur analyse par intelligence artificielle permettant l’identification des adventices. L’application de désherbant est ultra-localisée avec une empreinte de pulvérisation minimale de 6 cm de côté, grâce à des buses disposées tous les 4 cm sur la rampe de pulvérisation.

Moins 50 à 60 % de produit après la bineuse

« À Derval, nous avons utilisé l’Ara en rattrapage sur maïs après un ou deux passages de herse-étrille ou un binage, détaille Gérard Besnier. Après la herse-étrille, la population d’adventices était encore dense, donc la réduction du volume de traitement ne dépassait pas 20 à 30 %. Après la bineuse, en revanche, on a économisé 50 à 60 % de produit, car seul le rang était traité. Dans les deux cas, l’efficacité du traitement a été de 100 %. » Autre observation : la largeur de la machine étant de 6 m (une version 12 m est en développement) et sa vitesse de 7 km/h, la durée de l’opération est multipliée par quatre par rapport à un pulvérisateur de 24 m de large.

Pour Gérard Besnier, l’intérêt du pulvérisateur Ara en grandes cultures et prairies concerne surtout le traitement des vivaces se développant en ronds, mais il est moins évident pour le traitement des adventices annuelles. Testé en 2021 par la coopérative bretonne Eureden sur plus de 40 ha de haricots, l’Ara a permis de réduire la surface traitée de 85 % et la quantité d’herbicide de 70 %. Il a également été employé dans des essais de la coopérative Beauce Champagne oignon (BCO) en collaboration avec la chambre d’agriculture du Loiret. Sur une parcelle d’oignons de 3 ha, l’IFT a été diminué de 93 %.

Pulvérisateur Ara d’Ecorobotix
Le pulvérisateur Ara d’Ecorobotix de 6 mde large peut être attelé à un tracteurde 100 ch. Sa vitesse est de 7 km/h, sondébit de chantier de 4 ha/h. Une versionde 12 m est en développement. (© Nathalie Tiers)
Pulvérisateur Ara d’Ecorobotix
Sous sa carapace blanche, le pulvérisateur Ara est équipéde 156 buses de pulvérisation de haute précision espacées de 4 cm,pour une empreinte de pulvérisation minimale de 6 cm x 6 cm. (© Nathalie Tiers)
« L’intérêt du pulvérisateur Ara d’Écorobotix en grandes cultures et prairies concerne surtout le traitement des vivaces se développant en ronds » - Gérard Besnier, chargé de mission agriculture de précision à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire

Concernant les traitements insecticides et fongicides appliqués sur les plantes (développements en cours sur salades, par exemple), la réduction de volume attendue est de 70 %. Les partenaires du projet Azimut souhaitent également tester la pulvérisation ciblée avec les caméras conçues par Carbon Bee et utilisées par les constructeurs Kuhn et Berthoud sur leurs pulvérisateurs. Mais cela ne s’est pas encore concrétisé en raison du faible nombre de machines disponibles en France. « Dans le marais vendéen, certains agriculteurs coupent déjà des tronçons sur des zones de parcelles propres, constate Loïc Deveyer. J’aimerais que l’on teste cet outil, car je pense qu’on pourrait désherber seulement 10 à 20 % de la surface. »

Quelle rentabilité des investissements ?

Les automoteurs Artec de Kuhn, présentés à la journée technique de novembre dans la Sarthe, ont des capacités de 3 000 ou 5 000 l et déploient des rampes de 36 voire 50 m de large. Accrochées tous les 3 m, les caméras Carbon Bee détectent les adventices et les maladies afin de déclencher la pulvérisation buse par buse, avec une possible modulation de la dose. « Les volumes de bouillie utilisés peuvent osciller de 30 à 800 l/ha, précise Clément Rousset, responsable des ventes France pour Artec. On peut économiser jusqu’à 80 % de produit sur un désherbage de rattrapage en maïs. »

Si ces nouvelles technologies s’avèrent prometteuses, elles sont également coûteuses. « En 2024, nous aurons près de 300 machines en service en Europe et aux États-Unis, indique Sébastien Branche, responsable commercial France pour Écorobotix. L’investissement est de 120 000 €, mais nous commençons à avoir des témoignages intéressants quant au retour sur investissement. Un producteur de légumes nous a annoncé avoir divisé par quatre ses achats de produits phytosanitaires. »

Du côté d’Arvalis, les ingénieurs mobilisés sur ces innovations ont à la fois testé leur intérêt technique et calculé leur rentabilité sur deux fermes types (désherbage maïs ou prairies) au regard des investissements nécessaires (173 000 € pour l’automoteur, 84 000 € pour le système de pulvérisation) et des herbicides économisés2. Cette rentabilité dépend de trois facteurs : le mode de propriété du matériel, le nombre d’hectares traités et le pourcentage de surface à traiter. Plus ce dernier est faible, plus la réduction des charges herbicides aura un impact sur la marge nette.

D’après les trois interlocuteurs de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, oui, l’objectif de réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires est atteignable. À condition de massifier l’ensemble des options déjà disponibles : évolution des systèmes, utilisation de la rotation et des leviers agronomiques, mais aussi optimisation des traitements par la qualité de pulvérisation, mise à l’épreuve du terrain et vulgarisation des outils de dernière génération.

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